L’homme-cible. John Goetelen, 2006 (fausse accusation)
4 avril 2025 //.
Nous publions ici le premier chapitre du livre autobiographique écrit par feu notre ami suisse John Goetelen, dans laquelle il racontait la fausse accusation de viol dont il avait été victime de la part d’une ex-compagne en 2001, et pour laquelle il avait été relaxé en 2008. Ce livre constitue l’un des plus remarquables témoignages rédigé par une victime de fausse accusation. John est décédé en 2024, et cette publication est pour nous une manière de rendre hommage à son combat et à sa personne, laquelle nous manque beaucoup.
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La femme est-elle vraiment l’avenir de l’homme ? John Goetelen. Oser dire, 2006
L’homme-cible, pages 7-12 (Les noms sont fictifs)
Elle est arrivée à mon travail. C’était le 21 mai, un lundi, à huit heures trente. Elle est arrivée à douze : elle, la juge d’instruction Cerbère, Naf-Naf comme je l’ai ensuite surnommée, avec la greffière, l’adjoint du procureur général, et un groupe de policiers en civil. Autant de monde, comme pour l’ennemi public numéro un. Perquisition, insultes : la juge se lâche sans aucune explication. Un policier me retient dans un bureau, les autres fouillent tout, sans prendre d’égard. Un relent de Gestapo flotte dans les locaux.
Cela dure quoi, une heure ? Le juge me demande où se trouvent les dossiers concernant Grenouille, ancienne compagne et collaboratrice de l’école que j’ai fondée. Je lui montre. Elle va chercher ailleurs, dans une armoire n’appartenant pas à l’école. Elle trouve une feuille de traitement au nom de Grenouille, établie par un collègue. J’ignorais cela. La juge m’insulte, me traitant de menteur en brandissant ce document comme un trophée, preuve que j’aurais voulu cacher quelque chose. Je lui explique que je n’étais pas au courant, que cela appartient à un autre praticien. La juge devient hargneuse.
– Vous êtes un menteur ! Pourquoi m’avoir caché ce document, hein ? !
– Mais non…
– Taisez-vous, vous mentez !
– Mais puisque je vous dis…
– Menteur ! Menteur !
Et elle recommence à tout retourner, à tout mélanger – deux mois pour remettre de l’ordre… Elle a toujours la hargne dans son regard. De loin des collègues regardent, hagards, ne comprennent rien. Une étudiante de l’école passe, n’ose pas me saluer. Je me sens mal. Je pressens l’horreur.. Puis deuxième perquisition, à mon appartement. Toujours pas d’explication. Cela glisse vers Kafka. Un agent me retient sur le balcon tandis que les autres fouillent. Tout est suspect, un tableau au mur, la simplicité dans laquelle je vis.
Ils fouillent ma vie. Je les entends, ils veulent du sale, du moche, du tordu. J’ai montré à la juge d’instruction où chercher, elle ne trouve rien. S’il n’y a rien, c’est que je le cache ailleurs. La juge s’énerve, m’insulte encore, me traite à nouveau de menteur. Assis sur mon balcon, je commence à trembler. On dirait de plus en plus la Gestapo, le nazisme a fait des petits. Je regarde les arbres devant le balcon, ce balcon qui est mon lieu de repos et de contemplation. Les arbres que j’aime sont immobiles, sombres. Devenus comme des témoins silencieux du drame. Comme s’ils me regardaient sans pouvoir rien dire. Sans visage, sans ce léger vent qui parfois les fait danser. Que se passe-t-il ? Pourquoi suis-je traité comme un criminel ? De quoi ou de qui suis-je la cible ? Mon cœur et ma respiration se serrent, je n’arrive pas à penser. Je me sens impuissant comme un enfant qui voit le ciel tomber. Je bouge à peine. Tout mouvement pourrait être suspect. Je suis en grand danger.
Puis départ pour l’hôtel de police « Hôtel »… Sept heures d’interrogatoire serré, des questions dont je ne comprends pas le motif. Peu à peu, cela se précise : Grenouille a porté plainte contre moi. Pénal, grave. Mais on ne me donne toujours pas le motif. Je sens venir le pire. Réflexe de protection et de protestation, je décide de ne plus manger ni boire tant que je serai entre les mains des policiers.
Dix-neuf heures, fin de l’interrogatoire. L’agent qui m’a interrogé fait semblant de me rassurer, puis vide mes poches et compte mon argent. Je demande à téléphoner à mon avocat : refus. Enfin l’horreur tombe sur moi : les menottes. Ma vie vient de basculer. Des années de travail sur moi, d’intégration dans le monde, défaites en quelques heures.
Fourgon cellulaire, vers la prison. Je crois encore à une erreur, je vais me réveiller. Mais non, je ne dors pas. Le fourgon roule sec dans cette belle soirée de mai, roule dans cette campagne que je connais bien. Campagne de mon enfance. J’ai habité par là. J’allais sur les chemins, à vélo, m’inonder de nature et de parfums. Parfums des herbes, des fleurs, odeurs des arbres et de l’air. Cette campagne est une racine en moi. Aujourd’hui c’est un cauchemar. Tête vide, mots impossibles.
Arrivée à la prison. Fouille complète, douche, puis la cellule. Le repas – refusé. J’ai informé que je ne mange ni ne bois plus. Solitude de la cellule. Après deux heures, relevé anthropométrique et génétique. Fin de journée. Le soleil descend, les oiseaux sont en fête. Quelques détenus se parlent d’un bâtiment à l’autre. Devant, des arbres brûlant de lumière douce ; plus loin, une colline déjà bleutée. Et puis le Jura, calme lui aussi repère de mon enfance. Et tout devant – je le remarque en dernier : le mirador. Je vous laisse peindre l’image.
Je fais l’inventaire de ma cellule : deux draps, brosse à dents, rasoir jetable, savon, linge de bain. Habits : les miens. Repères : mon visage dans la glace. La fenêtre qui s’ouvre sur le couchant. J’ai aussi mon stylo. J’écris au dos des feuilles du règlement de la prison.
Je vis le pire cauchemar que je puisse imaginer. C’est irréel, ce n’est pas vrai, ce n’est pas moi… Je neutralise le choc, trop insupportable. Question de survie. Trop de violence, trop douloureux. Y penser aujourd’hui ranime un tremblement dans tout mon corps, comme si j’étais écartelé, déchiré comme un vieux papier. L’état de choc est toujours présent quelque part en moi. Y descendre me fige, me ramène à l’absurde. Depuis ces jours de fin du monde, je dois régler ma vie comme un moine. Un manque de sommeil et je me décompose. Etrangeté d’être innocent, presque coupable d’être innocent. La vraie coupable a déjà préparé sa défense. Moi, je n’ai rien, que ma parole, mon désarroi, ma voix troublée face à l’absurde en action. Etrangeté de l’enfant dans ce monde cauchemardesque des grands. Après quelques semaines, j’ai compris comment un innocent peut signer des aveux : l’épuisement, l’absurde, besoin de paix, que la pression cesse. Ne plus être une cible.
Bien, cela ne m’appartient plus d’aller et venir dans ce monde. Cela m’appartient de cesser de manger et de boire. C’est grave de ne pas boire, mais j’ai besoin d’un contrepoids à la violence qui m’est faite. Cinq jours sans boire. Tous les jours je vais à la visite médicale. La doctoresse, inquiète, me propose de boire un verre d’eau.
– Nous n’en dirons rien, affirme-t-elle.
Je refuse : je veux être cohérent, ne pas dire une chose et en faire une autre. Au cinquième jour, elle me fait conduire à l’hôpital, quartier cellulaire. Prise de sang, examens : j’ai une lésion rénale. Les médecins me demandent de boire à nouveau, m’expliquent le risque très grave où je suis. Me disent que je ne pourrai pas me défendre. Me demandent si je veux mourir. Ne pas boire c’était ma vie contre la folie. C’était l’honneur de ceux qui m’accordent leur confiance, et le mien. Boire à nouveau pourrait donner l’impression que je capitule, une défaite. Mais ne pas boire c’est risquer une mort rapide. Mourir : est-ce bien ce que je veux ? Non. J’accepte de recommencer à boire, en plus d’une perfusion.
Le lendemain de ma mise en détention, je suis conduit devant la juge d’instruction Cerbère, la grave. Lourde et hargneuse. Elle me lit des passages de la plainte : abus, viol sur personne dénuée de discernement… Ma raison éclate. Et aggravé parce que je l’aurais fait boire et droguée pour arriver à mes fins, cela pendant les dix-huit mois qu’a duré notre relation ; je rêve… Ni ses témoins ni ses confidents ne confirmeront cette version, au contraire : elle avait fait avec moi une semaine de santé pour diminuer le joint, information confirmée par ses confidentes. Et puis un de ses amis dira d’elle : « Grenouille, si ça va pas, elle prend ses affaires et basta ! ». Mais Grenouille a préparé son dossier : trois attestations médicales – qui se révéleront abusives, dignes de madame Soleil. Un ancien ami qui témoigne contre moi. Il était sous le charme de Grenouille et s’est rétracté par la suite. Je rêve encore…
Je parle, je commente, j’explique. Je vois que la juge ne me croit pas. Elle me propose un avocat d’office, alors que – je l’ai appris par la suite – mon avocat, averti par mes collègues de travail, s’était constitué dans l’heure d’avant. La juge l’écarte délibérément, ne m’informe pas qu’il s’est constitué. C’est illégal et abusif. Puis elle me charge, me charge encore, et clôt l’audience en confirmant mon incarcération. C’est parti pour longtemps. Retour en cellule, toujours les menottes, des heures d’attente dans des salles sombres et nues, transport dans un fourgon à huit cages d’un mètre de côté, grillagé, menotté.
Cellule. Des heures à tourner cette affaire dans tous les sens. Je ne comprends rien. Devant mon désespoir, je suis transféré dans une autre cellule, avec un autre détenu. On a peur de me laisser seul. Déjà que je ne mange rien, je pourrais tenter le pire. Non, je ne suis pas suicidaire. Mon jeûne de protestation est ma défense, pas ma fin. Je connais le jeûne. J’ai plusieurs fois jeûné dans les grands moments de ma vie.
En cellule, j’analyse la plainte page par page, mot par mot. Une plainte humiliante, salissante, terrible. Je ne veux pas la reproduire ici tant elle fait monter la nausée. Tout est tordu, tourné à l’envers. Des mensonges incroyables, précis. Elle a compulsé toutes les affaires du genre, repris les termes qui font mouche, les thèmes auxquels on croit aveuglément. Elle a bien préparé son coup. Elle a même appris les attitudes qu’il faut, les fixations du langage, les pleurs de circonstance. Par la suite mon avocat m’a dit que Grenouille et la première avocate avaient mis dans sa plainte toutes les jurisprudences existantes, presque mot pour mot. En ajoutant la secte, la magie noire : plus c’est gros plus ça passe !
Une semaine après, première audience de confrontation. Un paravent me cache Grenouille. Elle ment, ment encore, invente. Tout est faux. Quelle comédienne ! Il faut voir comment elle joue la victime, on la croit sans rien vérifier. Et l’homme est coupable, forcément coupable. La femme, victime universelle ; l’homme, bourreau universel. L’homme est la cible, et cette fois, c’est moi.
Pendant l’audience Grenouille change sa version. Elle avait dit que je l’aurais coupée de sa famille et de ses amis. Je cite alors tous ceux, nombreux, que nous avons vus ensemble. Grenouille s’embrouille, reconnaît que c’est vrai, revient en arrière, puis, acculée, prétexte un malaise. La juge la protège, lui accorde une suspension d’audience. Après quinze minutes, Grenouille s’est reprise. Sans l’intervention de la juge et cette suspension d’audience, Grenouille aurait probablement craqué et avoué. Mais la juge Cerbère se fout bien de la vérité et de mon innocence.
Nous relisons les attestations médicales. Un morceau d’anthologie. A faire lire aux étudiants en médecine et en psychologie comme exemple de ce qu’il ne faut jamais faire. Le diagnostic est abusif : Grenouille serait borderline, cela veut dire personnalité limite, concept encore sujet à controverse dans les milieux psychiatriques, et défini comme étant généralement indétectable sauf crise extrême. Un médecin qui ne connaissait pas Grenouille avant cette affaire, qui n’a pas eu en main de dossier médical sur son passé, et qui n’est même pas psychiatre, prétend qu’elle était borderline depuis l’enfance. Il se base sur des symptômes de dépression ; or la dépression est un symptôme qui peut cacher de nombreuses causes. Une vraie psychiatre, entendue plus tard, le sait et affirme sans équivoque que ce diagnostic est impossible à poser dans ce cas de figure. Toutefois cela arrange Grenouille de passer pour borderline : elle veut faire accréditer la thèse de la détresse et de l’irresponsabilité, ce qui me rendrait encore plus monstrueux. C’est une technique devenue classique dans ce genre d’affaire.
Il y a plus grave. Le médecin, sûr de lui, affirme : « …état de choc dû à un homme plus âgé qu’elle, naturopathe… » . Il me désigne nommément comme s’il avait été présent. Or un médecin doit respecter une déontologie. Il ne peut affirmer que ce qu’il a constaté par lui-même et ne peut pas reprendre à son compte ce que dit la patient s’il ne l’a pas vérifié ou vu par lui-même. Il peut éventuellement préciser : « Selon le patient, ce serait dû à… ».
Un exemple simple fera comprendre l’abus du médecin. Imaginons que vous vous blessiez le bras en tombant. Vous courez en larmes chez un médecin et lui dites que c’est votre voisin qui vous a agressé. Le médecin, s’il reprend vos informations à son compte, écrira sur l’attestation : « Blessure par son voisin » alors qu’il n’a rien vu par lui-même. Vous pouvez donc tranquillement aller poser plainte contre le voisin sur la base de cette attestation. C’est la porte ouverte à tous les abus. L’Association des Médecins a confirmé cette faute professionnelle :
« Le principe de base pour le médecin est de ne tenir compte que de ce qu’il constate objectivement. Si des faits concernant le cas, ou d’autres éléments par exemple concernant la famille ou la profession du patient lui sont rapportés par ce dernier, le médecin doit le mentionner et ne pas les prendre à son compte. »
La secrétaire générale du Département de la Santé est elle aussi formelle :
« Attestations médicales : les psychologues comme les médecins ont l’obligation de ne mentionner que ce qu’ils peuvent constater par eux-mêmes. »
Ce médecin a perdu son recul professionnel. Il s’est laissé subjuguer par Grenouille. Son témoignage est entièrement orienté en acte d’accusation. Et le juge n’a rien vu, rien su lire, totalement incompétente, bernée elle aussi. Une psychologue a aussi été abusée et a joué un jeu peu clair qui devra être élucidé. Elle a fait la même attestation abusive. Plus grave : cette psychologue travaille pour la Lavi, un centre d’aide aux victimes. Que ces praticiens expérimentés aient pu se laisser ainsi entraîner dans la même faute professionnelle grave montre le pouvoir de persuasion et de manipulation de Grenouille. Enfin un autre médecin a fait pour Grenouille un arrêt maladie, sur le motif qu’elle aurait subi une situation d’abus professionnel. Entendu en audience, il précise cet abus : dans les trois jours après son arrêt maladie j’aurais fait contrôler son état par un inspecteur de l’assurance.
Ici je détaille car c’est le premier mensonge prouvé, et la première manipulation – démontrée par les pièces de l’assurance – faite par Grenouille sur ce médecin. Début juillet, Grenouille revient d’un voyage d’un mois, et m’annonce qu’elle met fin à notre relation. Elle a rencontré un autre homme en voyage. Banal à pleurer. Trahi, je le prends mal, puis je prends sur moi. Le 25 juillet elle envoie sa lettre de démission pour le 15 août. Puis se fait porter malade le 27 juillet. Et prétend que l’inspecteur est venu avant le 30 juillet.
Je ne comprends pas, ça ne colle pas. De retour de l’audience, je cherche dans mes archives (ça, c’est après ma libération). Je retrouve une lettre écrite à l’assurance, en date de mi-août, dans laquelle je demande si l’assurance perte de gain peut être utilisée pour Grenouille. Ce n’était pas le cas, la date de sa démission intervenant avant le délai de latence de 31 jours. Je téléphone à l’assurance qui me faxe sa réponse : un inspecteur est bien allé la voir, en date du 22 août, soit en aucun cas dans les trois jours comme elle l’a affirmé à ce médecin qui l’a redit sous serment.
Elle était convaincue que je gardais pour moi l’argent de l’assurance. Elle l’a dit à certaines personnes, et a essayé d’aller aux prud’hommes. Sans succès car même en conflit je ne fais pas ce genre de choses. Une entreprise n’est pas un outil de vengeance, il y a des lois à respecter, je les ai respectées. N’ayant pas réussi aux prud’hommes, elle a alors élaboré son plan machiavélique. Jusque là, aucun de ses témoins n’avait entendu parler d’abus ou de viol, ce n’est qu’après son échec aux prud’hommes que cette accusation est apparue…
Grenouille a donc pris le temps de mettre en place sa plainte, aidée par quelques femmes. Elle est tombée sur Naf-Naf, cette juge complaisante et anti-hommes qui l’a accompagnée dans son entreprise criminelle. Naf-Naf, convaincue de tenir un scoop. Naf-Naf, bête à pleurer.
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Voir aussi :
Manifeste hoministe (2006) : https://www.la-cause-des-hommes.com/spip.php?article5
« Je me sens justifié d’avoir fait front fermement et ouvertement ». John Goetelen, avril 2008 : https://www.la-cause-des-hommes.com/spip.php?article406
Communiqué du GES : Hommage à John Goetelen, combattant antisexiste. 9/10/2024 : https://www.g-e-s.fr/base-de-documentation/communiques/communiques-2024/5940-2/