« Le viol, notre culture » de Béatrice Hamidi, 2025 / Patrick Guillot

18 novembre 2025   //

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Le viol, notre culture. Bérénice Hamidi. Editions du croquant, 2025

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L’auteure est enseignante à l’université Lyon 2, « spécialiste des représentations culturelles »

Le concept de « culture du viol » est apparu dans les années 70. Il a donné lieu à la publication de dizaines d’ouvrages, dans plusieurs pays. Lesquels n’ont guère convaincu sur sa réalité. En effet, la lutte contre le viol n’a jamais été aussi légitimée et aussi développée que dans les sociétés contemporaines. L’information et l’aide aux victimes se décline par des services téléphoniques, un réseau associatif dense, et même un ministère (« Ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes« ). Elles sont incitées à porter plainte par des campagnes telles que celles de Me Too. Elles ne sont plus moquées, les services de police sont formés à leur accueil. La connaissance du problème est assurée par la publication de nombreux témoignages, des études sociologiques. La loi prévoit pour les agresseurs des peines de prison lourdes et plusieurs circonstances aggravantes.

C’est pourquoi cet ouvrage ne peut présenter d’intérêt que s’il apporte une clarification, une redéfinition du concept, et une approche plus en phase avec la réalité.

Pourtant, on y retrouve d’emblée divers procédés biaisés. Plusieurs catégories de viol sont occultées : le viol de femmes par des femmes, le viol d’hommes par des hommes, le viol d’hommes par des femmes.

Sans surprise, les violences sexuelles contre des hommes sont minorées : « l’immense majorité sont des hommes : 91% des personnes mises en cause pour des actes sexistes (allant de l’outrage sexiste jusqu’au viol) sont des hommes » (p. 11). Une phrase confuse, qui amalgame plusieurs types de délits et crimes. Et qui, surtout, même si on lui accorde crédit, revient à considérer comme quantité négligeable 9% des auteures de violence, les féminines. Contrairement à ce qu’annonce son titre, l’étude porte donc exclusivement sur le viol de femmes par des hommes, un parti-pris clairement misandre.

De même il ne sera pas évoqué le phénomène des fausses accusations de viol. Sauf en quelques lignes (p. 18), pour affirmer évidemment qu’elles sont peu nombreuses, « entre 3 et 8% » des accusations, ce qui est largement sous-estimé et de toute façon ne légitime pas leur non-prise en compte. Cette prise en compte est pourtant nécessaire pour envisager correctement le problème.

Faisant malgré tout un effort de précision, l’auteure définit son objet d’étude comme des « mécanismes inconscients » (p. 19) « dont les racines omniprésentes et multiformes façonnent en profondeur nos productions culturelles » (p. 89) et envisage quelques-unes de ces productions.

Elle évoque le « porno« , qu’elle qualifie d' »école de la misogynie » (p. 46). Ce en quoi elle n’a pas tort. Mais elle ne mentionne que très brièvement l’existence d’un « porno » féminin (p. 46) et passe sous silence le « porno » sado-maso, où sont mis en scène autant d’hommes dominés (et violés) par des femmes que de femmes dominées par des hommes. En fait le « porno » montre autant les hommes que les femmes dans des situations de bourreaux ou de victimes, et il pourrait tout aussi bien être qualifié d’école de la misandrie. Le « porno » est bisexiste.

Elle évoque ensuite le rap, mouvance dont il est incontestable que certains textes incitent aux violences sexuelles contre les femmes. Encore qu’il faille là aussi relativiser, ce qu’elle fait elle-même en écrivant : « ce genre musical a été pionnier dans la dénonciation des violences de genre » (p. 49).

Enfin, elle envisage diverses créations culturelles, dont elle considère qu’elles banalisent, ou érotisent, ou romantisent le viol. Parmi celles-ci, quelques films, quelques romans et quelques chansons. Pas forcément contemporains d’ailleurs, puiqu’y figurent Rebecca, un roman de Daphné du Maurier de 1938 (p. 79), et même un poème d’André Chénier… datant du dix-huitième siècle (p. 69).

Au final, la démonstration n’est guère convaincante. L’auteure parle de la présumée culture du viol comme de « notre culture« , c’est-à-dire d’une culture qui serait dominante. Mais elle ne parvient pas à faire la démonstration de cette domination. Ni le « porno« , ni le rap, même s’ils drainent un large public, ne constituent des cutures dominantes. Ils sont des sous-cultures (ou des contre-cultures), c’est-à-dire un ensemble de représentations propres à un groupe social, à un groupe d’âge, à une minorité ethnique ou sexuelle. Et non à la société dans son ensemble. Quant à la sélection d’exemples tirés de productions culturelles, elle n’est qu’une sélection, qui pourrait être aisément contredite par une sélection divergente, et ne démontre aucune tendance de fond.

Au final et malgré quelques acrobaties dialectiques, Bérénice Hamidi ne parvient pas à donner une consistance au concept de « culture du viol« , et encore moins au sous-titre de son livre, « Notre culture« . Elle parvient tout juste à confirmer que le thème du viol est traité, parfois d’une manière trop complaisante, par divers courants spécifiques, ce que l’on sait depuis longtemps déjà.

On peut s’interroger sur les motivations de l’auteure (et de l’éditeur) à publier un livre qui n’apporte rien au débat. Peut-être est-ce l’aspiration purement narcissique à s’inscrire comme partie prenante du courant idéologique dominant, celui de la misandrie. Ou bien la mise en oeuvre du procédé de répétition, cher à toutes les idéologies totalitaires : répéter indéfiniment, pour parvenir à imprégner durablement les cerveaux.

Patrick Guillot