Correspondance avec le Défenseur des droits sur les violences conjugales – 20 août 12 / 6 oct 13 / 1 mars 14

5 septembre 2012   //

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Ce courrier fait suite à la proposition de Maryvonne Lyazid, adjointe au Défenseur des droits, faite au GES lors de l’entretien du 18 juillet 2012, de fournir à ses services des données concernant les violences conjugales. Voir ICI

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le 20 août 2012

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Le Défenseur des droits
7 rue Saint Florentin 75008 Paris

 

objet : prolongements de notre rencontre
avec Maryvonne Lyazid du 18 juillet 2012

 

Monsieur le Défenseur des droits,

Lors de notre rencontre avec Maryvonne Lyazid du 18 juillet dernier, nous avons contesté la validité d’un argument qui a été utilisé dans la réponse du 10 avril 2012 à notre saisine du 30 novembre 2011 concernant le 3919. Madame Lyazid nous a alors proposé de fournir des données qui pourraient servir de base à un éventuel réexamen de cet argument par vos services.

Voici l’argument en question :

de nombreuses enquêtes ont mis en évidence les violences faites aux femmes. Sous cet angle, la campagne d’information relative au 3919 ne vise pas à stigmatiser la population masculine, mais tend à remédier au problème spécifique des violences « sexuées », c’est-à-dire les violences qui touchent les femmes et les visent en tant que telles.

Nous nous permettons donc de vous soumettre les données suivantes :

1) Le Ministère de l’Intérieur publie chaque année une « Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple ».

D’après celle-ci, le nombre d’hommes tués par leur conjointe ou ex-conjointe est le suivant :

– en 2009 : 24, soit 15,2% de l’ensemble des victimes

http://ecvf.online.fr/IMG/pdf/etude2009.pdf

– en 2010 : 28, soit 16,9% de l’ensemble des victimes

http://www.interieur.gouv.fr/A-votre-service/Ma-securite/Aide-aux-victimes/Aide-aux-victimes-presentation-des-differents-dispositifs/L-action-du-ministere-dans-le-cadre-des-violences-au-sein-du-couple

– en 2011 : 24, soit 16,4% de l’ensemble des victimes

mediapart.fr/files/Etude_nationale_sur_les_morts_violentes_au_sein_du_couple_annee_2011_2.pdf

2 ) La Gendarmerie nationale recense chaque année le nombre de plaintes qu’elle a enregistrées pour violences conjugales.

En 2010, le nombre d’hommes ayant porté plainte contre leur conjointe ou ex-conjointe est le suivant :

– pour des « violences non-mortelles » : 3596, soit 18% de l’ensemble des plaintes

– pour viol : 38, soit plus de 10% de l’ensemble des plaintes
(Rapport annuel ONDRP 2011, pages 316-317)

3) L’Office national national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publie chaque année une enquête de victimation intitulée « Cadre de vie et sécurité » portant entre autres sur la violence conjugale.

Le nombre d’hommes, (en équivalent population) se déclarant victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjointe ou ex-conjointe est le suivant :

– en 2007-2008 : 110 000, soit 26,3% de l’ensemble des victimes déclarées (Synthèse du Rapport annuel 2009, pages 12-13)

– en 2009 : 78 000, soit 27,2% de l’ensemble des victimes déclarées (Repères n°14, pages 5-7)

– en 2009-2010 : 120 000 soit 32% de l’ensemble des victimes déclarées (Rapport annuel 2011, p. 17-19)

Les sources citées sont en ligne sur le site de l’ONDRP : http://www.inhesj.fr

Ces données nous semblent démontrer incontestablement que la violence conjugale ne peut être définie comme « sexuée », qu’elle ne vise pas que « les femmes en tant que telles », et qu’elle touche les deux sexes indifféremment. Nous souhaitons donc vivement que vous procédiez à un réexamen de l’argument précité.

D’autre part, nous nous déclarons très intéressés pour participer au projet, évoqué par madame Lyazid, de travailler plus étroitement avec des associations concernées par le genre.

Dans l’attente de vous lire, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Défenseur des droits, nos meilleures salutations.

 

En l’absence de réponse, nous avons relancé l’ONDRP le 15 avril 2013.

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Réponse de Maryvonne Lyazid, le 6 octobre 2013

 

Monsieur le président,

Vous avez bien voulu faire part au Défenseur des droits de vos observations suite à nos échanges sur la question des violences, et je vous en remercie.

C’est avec attention que j’ai pris connaissance de vos arguments en faveur d’une meilleure prise en considération des violences subies par les hommes dans le cadre du couple.

Il me semble au préalable nécessaire de rappeler deux éléments essentiels . Tout d’abord, le sujet des violences en général, et au sein du couple en particulier, ne relèvent pas directement des atributions du Défenseur des droits, bien que notre institution soit évidemment sensible au sort des victimes de telles violences et à leurs conséquences sur les enfants et les familles.

Ensuite, le Défenseur des droits est un acteur engagé dans la lutte contre toutes les discriminations, mais il ne saurait dénoncer comme une discrimination le fait d’opérer des distinctions sur la base d’éléments objectifs et dans le but de lutter de façon ciblée contre un phénomène dont l’ampleur est aujourd’hui mondialement reconnue.

Aussi apparaît-il important de rappeler qu’en France, en 2011, les femmes représentaient plus de 83% des personnes décédées dans le cadre des violences domestiques, selon l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale. A l’échelle mondiale, 38% des meurtres de femmes sont perpétrés par un partenaire intime et 35% des femmes sont confrontées aux violences conjugales, selon une étude publiée en juin dernier par l’organisation mondiale de la santé.

Dès lors, eu égard à ce constat alarmant, il apparaît légitime que la lutte contre les violences faites aux femmes fasse l’objet d’une politique publique spécifique, autant dans le but de faire cesser ces violences que pour remédier aux conséquences sur les enfants et aux difficultés matérielles engendrées par ces violences.

Durant trop longtemps, ce problème n’a été traité qu’à la marge par les pouvoirs publics et, en dépit de son envergure, était confronté à une réelle invisibilité. Au nom de l’universalité de ses valeurs, la France se doit d’être exemplaire dans cette lutte.

Pour autant, en aucun cas, le Défenseur des droits ne souhaite minimiser la question des violences conjugales dont les hommes peuvent faire l’objet. Si l’application du droit commun ainsi que l’appui des associations apportent une réponse à ces situations douloureuse, le Défenseur des droits reste néanmoins attaché à un renforcement du dispositif de soutien , tant psychologique que juridique, pour les victimes.

En outre, j’attire votre attention sur le fait que , pour la première fois, les violences envers les populations masculines vont faire l’objet d’une étude approfondie, dans le cadre de l’enquête VIRAGE (Violence et rapports de genre) actuellement menée par l’Institut national d’études démographiques. Je forme le souhait qu’elle soit l’occasion, au-delà de l’analyse statistique, d’accéder à une meilleure analyse des sujets portés par votre groupe d’études.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l’expression de ma considération distinguée.

Notre réponse, le 1 mars 2014

 

Objet : Votre réponse du 6 octobre 2013
(référence DPDE/XB/SB/DRF/JO).

Madame,

Nous avons bien reçu votre réponse du 6 octobre 2013 que nous avons lue attentivement. Souhaitant poursuivre avec vous un dialogue constructif, nous nous permettons de vous communiquer les réactions et informations suivantes :

1) Vous vous référez aux statistiques de l’OMS qui établissent que 35% des femmes sont confrontées aux violences conjugales . Il est important de préciser que cette enquête n’évalue que les violences faites aux femmes et ne s’intéresse pas à celles dont sont victimes les hommes : elle ne permet donc pas de faire avancer notre discussion. Ceci dit, il existe aussi des données internationales qui établissent la réalité des hommes victimes

2) Nous préférons quant à nous nous baser sur les statistiques françaises, les seules en phase avec les réalités de notre pays. En l’occurrence, le service publiant la prévalence des victimes de violence conjugale est l’Office National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP). Dans le dernier rapport publié dans « Repères » n°15 de juillet 2011 réalisé avec l’INSEE, l’ONDRP estime le nombre de victimes de violences perpétrées par le (la) conjoint(e) à 296 000 femmes et 117 000 hommes.

3) C’est pourquoi nous regrettons que vous persistiez à employer l’expression de « violences contre les femmes » à propos de la violence conjugale, puisque les études établissent de manière incontestable que cette violence n’est pas sexuée. Non seulement cette formulation ne correspond pas à la réalité, mais encore elle légitime les pratiques discriminatoires des pouvoirs publics qui excluent les hommes victimes des politiques de prévention.

4) Nous avons pris connaissance (Synthèse du rapport annuel 2012, p. 20) de la mise en place d’un « Comité de concertation sur l’égalité hommes-femmes », qui implique douze associations. Nous regrettons de ne pas avoir été pressentis pour intégrer ce Comité, d’une part parce que son objet correspond à nos connaissances et compétences, d’autre part parce que les dites associations sont préoccupées exclusivement des problèmes de la condition féminine. De ce fait, nous nous permettons de solliciter un nouveau rendez vous auprès de vos services, afin de discuter de la possibilité pour notre association d’intégrer le dit Comité.

Dans l’attente de vous lire, nous vous prions, madame, d’agréer l’expression de nos meilleurs sentiments

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Nous n’avons reçu aucune réponse à ce dernier courrier.

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